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Festival de Cannes pour votre premier long-métrage (« Nous, les coyotes », en compétition à l’ACID en 2018), anciens étudiants à l’EJC… tout semble vous ramener vers chez nous…
Cannes, c’est la maison! Nous nous sommes connus à l’école de journalisme de l’IUT, alors qu’Hanna est normande et que je suis un franco-américain de Nîmes. Cannes fut fondateur pour nous, c’est ici que nous avons fait nos premiers pas dans l’industrie, en commençant par des documentaires. Comme les écoles de cinéma et certains cursus de journalisme étaient trop chers, on s’était dit que l’IUT était un bon moyen de combiner notre amour de l’image avec le fait de raconter des histoires.
Comment passe-t-on du documentaire à la fiction sur un coup de tête?
Une fois à Paris pour poursuivre un master d’histoire, on est devenu des cinéphiles obsessionnels. On avait la carte « UGC illimité » et on allait voir tous les films qui passaient. Notamment les longs-métrages indépendants américains, comme Bellflower d’Evan Glodell, qui nous a particulièrement marqués. Ce qui nous intéressait dans la fiction était de pouvoir aller au fond des choses alors que souvent, en tant que journalistes, on avait un peu l’impression d’être condamnés à rester en surface. On continue le docu aujourd’hui, comme nous l’avons fait, par exemple, pour Brut lors de la mort de George Floyd aux États-Unis. Mais la fiction répond au même processus: retranscrire la réalité le plus fidèlement possible.
Justement, « Au fil des saisons » s’éloigne un peu de cette réalité brute, pour aller vers le registre du conte…
Complètement. Mais dans les deux cas, ce sont les relations humaines qui nous intéressent. Nous, les coyotes était plus réaliste car il répondait à une sorte d’urgence. On l’a tourné dans plusieurs quartiers de Los Angeles, mais il y avait la contrainte du temps, car toute l’action se déroulait sur une seule journée. Pour Au fil des saisons, nous voulions, en quelque sorte, nous « poser », notamment pour pouvoir renouveler notre mise en scène. Raconter l’histoire de trois générations de femmes dans un seul et même lieu et tenter d’en faire un conte universel, sans trop de marqueurs spatiaux ou sociétaux. 8 Femmes, de François Ozon, était l’une de nos inspirations.
Comment un couple de jeunes réalisateurs de 30 ans parvient-il à convaincre LA star du cinéma français de tourner pour eux?
La chance! Il y avait 90% de chance pour que personne ne voie notre premier film à l’exception de nos amis, étant donné le petit budget. Mais la sélection à Cannes en 2018 a changé nos vies. Un an plus tard, de retour au festival en tant que sélectionneurs, nous rencontrions Bertrand Tavernier! On a tout de suite accroché et, à l’époque, il avait pour rêve de s’installer aux États-Unis [le réalisateur est décédé en 2021, ndlr]. Il nous a fait des retours sur le scénario et l’a donné à Catherine Deneuve.
Après quelques déboires [l’actrice a fait un AVC en 2019, le Covid a retardé le tournage plusieurs fois et empêché Jessica Chastain, engagée sur le projet, de donner suite, ndlr], on a réussi à tourner, à quelques kilomètres de Bruxelles. Voir les yeux de Catherine Deneuve briller comme si elle s’apprêtait à jouer la première scène de sa vie, au moment où l’on criait « Action », c’était incroyable. Elle voulait casser son image, donc elle s’est investie à fond. Elle n’avait pas tourné de film entièrement en anglais depuis très longtemps, c’était un petit miracle.
Le film a été tourné en Belgique, mais la ferme est censée être située en Virginie… Quels ont été les défis de ce drôle de tournage?
Ça, c’est la magie du cinéma! La lumière n’était pas aussi belle que dans les grands espaces américains, alors on trichait. On voulait une lumière douce et rasante, pour réaliser un feel good movie, mais ce n’était pas évident. Ensuite, quand Martin Scorsese est arrivé sur le projet en tant que producteur, il nous a aidés à gérer l’espace où nous filmions, afin de créer l’illusion d’une ferme plus grande. Il nous a même avoué que l’île de Shutter Island n’en était pas une, c’était carrément surréaliste de dialoguer régulièrement avec lui sur Zoom! On se demandait d’abord ce qui l’avait intéressé dans cette histoire de femme relativement recluse, atteinte d’un cancer, et dont la fille et la mère viennent l’aider à gérer une ferme avicole. En fait, il est simplement intrigué par les histoires de femmes, et sa passion pour le cinéma n’a jamais tari. À 81 ans, il n’est pas blasé.
Cette histoire provient-elle d’une expérience personnelle?
Quand je vivais à Los Angeles, ma mère m’a appelé un jour pour me dire qu’elle avait une énorme boule au niveau de la gorge. Il s’est avéré que c’était bénin, mais nous sommes partis de cette peur de perdre nos parents pour écrire le film. Quant à la campagne, je suis originaire d’un minuscule village en Normandie et j’en suis parti tôt, c’était un bon point de départ pour écrire le personnage de la jeune Charlie. Mais notre prochain projet n’aura rien à voir: ce sera un thriller psychologique autour d’une secte dans la jungle colombienne!