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Histoire d’une notion
BeReal, le réseau social qui exige la publication d’une photo à un moment aléatoire de la journée, quels que soient le lieu et la situation dans lesquels on se trouve, est la dernière tendance de la génération Z, née entre 1996 et 2010. Contrairement à d’autres applications telles qu’Instagram, les clichés y sont pris sur le vif et sans filtre, dans des cadres pas forcément idylliques : cette mise à nu de soi plus « authentique » porte le nom d’« extimité ».
L’origine de la notion d’extimité
Forgée par Jacques Lacan en 1969 en opposition au terme « intimité », cette notion, qu’il définit comme l’« extériorité intime », visait initialement à souligner l’absence de rupture entre espace public et espace privé. Il y a bien continuité entre eux. Au début des années 2000, le concept d’extimité réapparaît avec le Journal extime, de Michel Tournier (La Musardine, 2002), qui explore l’intimité du narrateur à travers la description des détails extérieurs de sa vie : l’évolution de son jardin, de sa maison, etc.
L’extimité à l’époque de Loft Story
La même année, le psychiatre Serge Tisseron inscrit la notion dans l’actualité pour réfuter le prétendu exhibitionnisme des participants à l’émission de télé-réalité « Loft Story ». « Pour les exhibitionnistes, la réaction qu’ils provoquent chez les autres doit être prévisible, détaille le psychiatre au Monde, alors que ces jeunes [de Loft Story] désiraient rendre publics des aspects d’eux-mêmes qu’ils n’avaient jamais montrés auparavant, mais sans rien savoir des réactions de ceux qui allaient les découvrir. »
Le désir de se raconter inhérent à l’humain
Dès lors, il s’agit, selon le psychiatre, d’un « désir de se raconter inhérent à l’humain, qui s’est d’abord manifesté dans la sphère familiale, puis a connu un développement important avec l’invention des cafés, avant la télévision et Internet ». Si cela peut conduire à améliorer l’estime de soi et à élargir son cercle social, une telle mise en avant de soi permet en outre de définir son propre espace intime en le « négociant » : en choisissant ce que l’on décide de montrer ou non.
Évolution de la notion d’intimité
La notion d’intimité n’a pas toujours été définie de la même manière, comme le raconte son évolution linguistique. Au XVIIe siècle, la racine « intim » est utilisée en français pour désigner une relation extérieure, un ami en qui l’on a la plus grande confiance. Puis au XVIIIe siècle, « intim » devient un superlatif désignant « ce qui est au plus profond », dont Rousseau illustrera le concept dans ses Confessions, quoique sans jamais utiliser ce terme.
Ce n’est qu’au XIXe siècle que le mot assume sa signification actuelle d’« intérieur et secret », mouvement qui va de pair avec la reconnaissance d’un espace physique consacré à l’intimité. Avec l’apparition, dans la société occidentale, d’espaces individuels – la fameuse « chambre à soi » réclamée par Virginia Woolf –, l’intime bascule définitivement dans la dimension intérieure.
« Loft Story » a 20 ans : la télé-réalité a permis le « retour de la société de cour du XVIIIe siècle, où un individu peut tomber en disgrâce à tout moment »
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