Sommaire :
L’auteur et ses travaux
L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Jonathan Haidt, un intellectuel influent
Jonathan Haidt se trouve dans une ligue à part. Professeur de psychologie sociale et d’éthique, d’abord à l’Université de Virginie, puis aujourd’hui à l’Université de New York, il représente une rare créature : un intellectuel dont les idées ont une véritable portée dans le discours public. Ses conférences TED ont été vues des millions de fois. Ses livres sont des best-sellers, et il est considéré comme un des grands penseurs mondiaux contemporains.
Les conséquences des problèmes psychologiques sur la démocratie américaine
Problèmes sans précédent de santé mentale (mesurables bien avant les mesures de confinement liées à la COVID–19), recul marqué des résultats scolaires (pour la première fois en un demi-siècle, une génération d’Américains réussit moins bien à l’école que la précédente) et difficultés à mieux s’établir dans le monde adulte : les effets psychologiques dévastateurs sont clairement présentés.
Cette génération Z, arrivée sur les campus universitaires au milieu de la dernière décennie, était la première à franchir l’âge adulte après avoir été élevée avec les réseaux sociaux. Et, collectivement, elle affichait le triple des désordres psychologiques des enfants du millénaire — à commencer par l’anxiété.
Haidt mentionne qu’avant 2020, environ 10 % des jeunes adultes disaient avoir souffert de dépression ; au tournant des années 2020, c’était de l’ordre de 30 %.
De 2010 à 2020, les hôpitaux ont recensé une augmentation de près de 50 % du nombre d’admissions pour automutilation chez les garçons. Chez les filles, cela s’élevait à 200 %.
Notons que, bien que ces hausses soient spectaculaires, le phénomène continue de ne toucher qu’une minorité de jeunes.
Mais cette minorité n’est plus marginale… et la croissance fulgurante des problèmes de santé mentale associée à l’usage généralisé des réseaux sociaux inquiète.
La culture du bannissement et l’effet des réseaux sociaux sur le discours public
Ils étaient déjà anxieux ; le spectre de devoir affronter des idées différentes des leurs, des valeurs étranges aux leurs, n’est plus vu comme une source de débats et d’échanges… mais comme une menace.
Le modus operandi est rapidement devenu de circonscrire le discours, d’annuler les invitations faites à certains conférenciers ou alors de carrément les empêcher de parler lorsqu’ils étaient sur place — en plus de chercher à punir professionnellement, parfois en allant jusqu’au congédiement, des membres de la communauté qui auraient tenu des propos jugés trop blessants ou menaçants.
Haidt met en lumière comment, au cours de la même période, les plus importants réseaux sociaux ont perverti l’espace public au-delà du milieu universitaire.
Avec de « simples » ajouts comme l’option de « retweeter » un message sur X en greffant un commentaire tout en limitant tout contenu à un nombre restreint de caractères, ces réseaux ont créé de puissantes incitations psychologiques à décocher les flèches les plus clivantes et les plus fracassantes pour gagner en notoriété et en prestige dans le monde virtuel.
Cela a encouragé les voix extrêmes et les plus tribales à se « construire » des légions de disciples idéologiques dans des chambres d’écho les plus homogènes possibles, en conflit perpétuel avec les membres de l’« autre » tribu. Dans pareil écosystème, les voix plus tempérées sont vite noyées.
Loin de constituer une « place publique virtuelle » — comme le prétend le propriétaire de X —, ce genre de plateforme, plutôt que d’évoquer le lieu principal de regroupement d’un village ou d’une communauté, ressemble maintenant davantage à une arène romaine.
Est-ce un hasard si le politicien qui définit le mieux cette ère est Donald Trump ?
Les mesures proposées par Jonathan Haidt
Haidt n’est pas découragé pour autant. Il propose ainsi une série de mesures qu’il croit susceptibles d’améliorer les choses. Elles incluent l’interdiction des téléphones intelligents dans les écoles, l’imposition de l’âge minimal de 16 ans pour se créer des comptes de réseaux sociaux et, mieux encore, l’encouragement pour amener les jeunes à (retourner) jouer avec leurs pairs, dans le vrai monde, sans supervision adulte constante.
Les défis liés à la prise de mesures
N’en déplaise à l’auteur, la simple réalité politique est que ces géants du Web ont accumulé un tel pouvoir économique et politique que toute mesure, aussi modeste soit-elle, sera contestée avec véhémence. Il y a beaucoup, beaucoup d’argent en jeu. La manière dont Meta a réagi à des lois canadienne et australienne le prouve.
Et il y a également beaucoup, beaucoup de gens — toutes générations confondues — qui sont très dépendants de leur téléphone et du temps passé sur ces réseaux sociaux.
La dépendance aux réseaux sociaux et ses conséquences
Aujourd’hui, tant de solitude, d’anxiété et de dépression est le fruit d’une dépendance à un univers virtuel limitant les vraies relations et étouffant la vie réelle.
Un problème générationnel et collectif
Autant chez les Alcooliques anonymes que chez les Narcotiques anonymes, la première étape pour régler un problème de dépendance est de reconnaître l’existence de celui-ci.
Et ce que Jonathan Haidt présente est un sacré problème. Il est générationnel et collectif. Et, peut-être surtout, lourd d’implications pour la plus importante démocratie du globe.
Reste à savoir si, collectivement, il sera reconnu comme tel.