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Rédacteur en chef du journal russe indépendant Novaïa Gazeta
Rédacteur en chef du journal russe indépendant Novaïa Gazeta (fermé en 2022), colauréat du prix Nobel de la paix 2021, Dmitri Mouratov, 61 ans, a choisi de rester vivre en Russie alors qu’une partie de son équipe s’est exilée en Lettonie, à Riga, où le journal est publié. Il a accordé cet entretien au Monde et au Temps, à Genève, où il était l’invité de la Freedom Cartoonists Foundation, de la Fondation Kofi Annan et du Geneva Graduate Institute. Il a beaucoup minci : « J’ai arrêté la vodka, explique-t-il, et je ne reprendrai qu’à la fin de “l’opération militaire spéciale”. Quand elle sera finie, vous me reverrez comme j’étais avant, promis. » Il publie, par ailleurs, une nouvelle revue, Gorby, tirée à 999 exemplaires pour ne pas franchir la barre du millier, à partir de laquelle l’enregistrement comme média devient obligatoire.
Vous allez retourner en Russie. Ne pensez-vous pas que vous feriez mieux votre métier de journaliste en Europe ?
Vous avez peut-être raison… et peut-être avez-vous tort. C’est très étrange de vivre dans sa patrie sans liberté, mais c’est tout aussi étrange de concevoir la liberté sans sa patrie. Les journalistes qui sont partis font un travail remarquable, sans censure, ils accomplissent leur mission. Ceux qui sont restés sont restés avec leurs lecteurs. Pour les lecteurs, c’est important d’avoir parmi eux les gens qu’ils lisent depuis longtemps.
Il faut respecter ceux qui sont restés et il faut comprendre ceux qui sont partis. Pour nous, c’est très compliqué, la moitié de la rédaction travaille en Europe, l’autre moitié en Russie. La moitié de nos collègues est sur une planète, l’autre moitié sur une autre. C’est un déchirement difficile à expliquer.
Vous-même avez été désigné « agent de l’étranger », le 1er septembre. Pourquoi maintenant, d’après vous ? Qu’est-ce que cela change pour vous ?
Mon numéro d’« agent de l’étranger » est le 665 : je suis l’ennemi du peuple numéro 665. C’est bien que je ne sois pas le numéro 666, numéro maudit ! Vous imaginez combien il y en a avant moi. Seuls les imbéciles pensent que ce statut apporte un mérite quelconque. C’est une vraie stigmatisation, c’est lourd à porter.
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