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Les véhicules des personnages de télévision québécoise
Pourquoi les personnages des émissions de télévision québécoises roulent-ils tellement en VUS ? Est-ce si important pour l’histoire qu’ils utilisent l’auto solo ? Pourraient-ils prendre une Flex, utiliser l’autopartage ou, pourquoi pas, enfourcher un vélo ? Voilà des questions que le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER) aime poser aux artisans de la télévision d’ici par le biais des conclusions de sa micro-étude Écogestes à l’écran.
« On parle beaucoup de l’impact écologique des tournages, l’industrie réfléchit activement et cherche comment les améliorer, mais on ne parle pas du tout de ce qu’on voit à l’écran », explique Sophie-Laurence H. Lauzon, codirectrice du CQEER, en entrevue téléphonique au Devoir.
Les véhicules dans nos fictions télévisées
Or, plusieurs des personnages de nos fictions télévisées sont plus ou moins éconuls. « Les véhicules des protagonistes sont souvent trop gros ou trop polluants au regard des besoins réels liés au scénario », lit-on dans la petite étude — un coup de sonde que le CQEER a mené en 2022 en observant deux épisodes de dix de nos séries : District 31, Toute la vie, 5e rang, L’oeil du cyclone à Radio-Canada ; L’échappée, La faille, Le bonheur et Léo à TVA ; Contre-offre à Noovo et De Pierre en fille sur Tou.tv (et actuellement diffusée à ICI Télé).
Quand la télévision nous montre à répétition des gestes qui ne sont pas écoresponsables, elle les normalise
Qu’y voit-on ? « L’utilisation de la voiture solo est surreprésentée par rapport aux autres modes de transport. » Et « parmi les fois où des matières résiduelles étaient jetées — même s’il était rare de voir le geste de tri —, 75 % des fois, elles n’étaient pas triées correctement », peut-on lire dans l’étude. Pourtant, la représentation des écogestes à l’écran progresse, dit l’analyse. Mais lentement. On peut maintenant voir beaucoup plus souvent un personnage utiliser une tasse réutilisable ou une gourde au bureau.
Pourquoi s’attarder à ces détails ? « Quand la télévision nous montre à répétition des gestes qui ne sont pas écoresponsables, elle les normalise », explique la codirectrice du CQEER.
Agir sur l’imaginaire
La culture a vraiment le pouvoir de faire changer les comportements et l’imaginaire, ajoute-t-elle. « Les études sur les changements de comportement disent que plus un comportement est rendu normal, moins il est dévalorisé, plus il risque d’être adopté. » Autrement dit : les gens veulent faire comme tout le monde, précise Mme H. Lauzon.
L’analyse le redit autrement, rappelant que, lorsque les films Rebelle, de Disney, et Hunger Games sont sortis, tous deux en 2012, le pourcentage de filles pratiquant le tir à l’arc avait augmenté en flèche — c’est le cas de le dire.
Bien sûr, les images sur nos écrans ne sont pas toutes aussi symboliques, fortes, marquantes, concède la codirectrice. Qu’un personnage de District 31 jette des papiers recyclables imprégnera moins l’imaginaire que de voir la rousse princesse Merida bander son arc, par exemple. « Mais ces gestes qu’on a recensés, ils ne portent aucune histoire ! » souligne Mme H. Lauzon. « Qu’un personnage se promène seul en VUS ou en autopartage ne change rien, ni à sa psychologie ni à l’histoire. Qu’on le voie manger un steak au restaurant ou un repas végé non plus. »
« Et ce sont des éléments très faciles à changer : c’est aisé sur un plateau de mettre des tasses réutilisables à côté d’une machine à café plutôt que des gobelets de carton — beaucoup plus facile que de changer les sources d’énergie qu’on utilise pour tourner… » À la portée d’un scénariste seul, ou de l’équipe de tournage.
Nos déchets magiques
Avec cette petite analyse, le CQEER ne veut absolument rien imposer aux créateurs, précise la codirectrice : la liberté d’expression doit demeurer absolue. « On veut juste mettre la puce à l’oreille, et entamer des discussions et des réflexions. »
La démarche du CQEER a été inspirée par l’étude Flip The Script: Can Hollywood Help Us Imagine a Future Without Plastic ?, faite fin 2021, sur l’usage des plastiques à usage unique dans les fictions télévisées américaines.
On y apprend notamment que, dans les émissions observées, quand le geste de tri était montré à l’écran, les contenants à usage unique étaient jetés à la poubelle dans 80 % des cas. Et que pour 93 % des articles à usage unique, le geste de tri n’apparaît pas à l’écran. « Cela contribuerait à ce que les auteur.e.s appellent “the magically disappearing trash” [le déchet qui disparaît par magie], perpétuant la fausse croyance selon laquelle nos déchets disparaissent sans générer d’impacts environnementaux », résume l’étude du CQEER.