Sommaire :
Comment la sphère médiatique a-t-elle changé avec l’avènement des réseaux sociaux ?
Changements d’usages dans l’information
Tout d’abord, nous faisons un premier constat : avec l’essor d’internet et des réseaux sociaux, nous assistons à des changements d’usages profonds. Les gens ne s’informent plus de la même façon qu’avant. Aujourd’hui, pour s’informer, les Français utilisent en moyenne 8,3 canaux différents, et de manière quotidienne, 62 % des Français s’informent via les réseaux sociaux, et c’est d’autant plus le cas chez les plus jeunes générations (Guénaëlle Gault, David Medioni, Enquête « Les Français et la fatigue informationnelle », L’ObSoCo, Fondation Jean-Jaurès, ARTE, juin 2022).
Transformation de la structure de l’information
Au-delà des usages, nous faisons aussi face à une transformation de la structure de l’information. Deux changements majeurs sont observés. D’abord, c’est la fin des silos, que l’on pourrait appeler le « grand mix », car un réseau social est avant tout un mélange de tous les contextes et de toutes les cultures. Avant l’essor des réseaux sociaux, chaque univers médiatique avait son code de conversation. Aujourd’hui, l’opinion, l’information sérieuse et la désinformation se retrouvent mélangés et gérés par les algorithmes ; il n’y a plus aucune hiérarchisation ni distinction des contenus. C’est un véritable enjeu pour les journalistes, car c’est la fin du contexte et cela provoque beaucoup de confusion quant à la réception des messages.
Ensuite, c’est aussi la fin de la linéarité. Auparavant, nous étions dans un système plus classique, où un événement menait à la production d’informations, par des journalistes professionnels, ensuite exposées au public. Avec les réseaux sociaux, tout ce système s’écroule car le public peut agir sur la distribution, en partageant des informations par exemple, et même sur la production en postant sur les réseaux sociaux des éléments qui pourront être repris par des journalistes.
Dans ce cadre tout à fait nouveau, continuer à informer est donc un réel défi, dans un espace public qui n’est plus contextualisé et qui fait face à une surabondance de messages.
Pour moi, il est absolument essentiel que les journalistes affirment leur rôle et leur responsabilité pour bâtir une relation de confiance avec les citoyens dans ce nouvel espace public. Cela passe par un rappel constant de ce qu’est une information, et de la différence qu’il y a entre une information et un message. La distinction est assez simple : on considère que pour devenir une véritable information, un message doit être vérifié, indépendant et que l’auteur du message doit être responsable de sa production. L’information et la confiance constituent un drôle de couple : l’information produit de la confiance, mais sans confiance, elle n’est pas recevable. Il est donc essentiel que la responsabilité des médias soit engagée.
Il me paraît également indispensable que les médias ne participent pas à cette accélération provoquée par les réseaux sociaux, qui épuise le public et l’amène à ne plus s’informer. Les notifications incessantes que nous recevons tous sur nos smartphones en sont un bon exemple. Nous sommes assaillis de messages, complètement sortis de leur contexte, que nous ne regardons même plus. Je suis convaincu qu’il est du devoir des journalistes de ralentir le rythme, d’expliquer, de permettre aux citoyens de prendre le recul nécessaire à la compréhension du monde qui les entoure.
C’est, en tout cas, ce qu’Arte tente de faire en devenant un label de confiance dans un monde de défiance. Notre rôle est d’informer sur le temps long, de donner des clés de compréhension, d’ouvrir sur le monde grâce à des récits, et de ne surtout pas sursolliciter le public. Nous avons notamment lancé au printemps une nouvelle tranche d’accueil intitulée 19.21, qui cherche justement, avec des programmes comme « Le Dessous des cartes » ou « Le Dessous des images », à aider notre public à comprendre ce qui se passe autour de lui, sans le bombarder d’informations, mais en l’éclairant et en analysant les grands enjeux de nos sociétés.
Il ne s’agit pas de le faire seulement à l’antenne, car une partie du public a délaissé ce médium. En réaction à ce désintérêt, dès les années 2000, la presse, et notamment Lemonde.fr, puis plus tard la télévision et la radio ont été obligées d’aller vers le numérique pour toucher le plus large public possible. Arte a été pionnière dans ce domaine en proposant ses programmes en replay dès 2007, puis en construisant un bouquet de propositions éditoriales avec sa chaîne linéaire, sa plateforme arte.tv et ses chaînes sociales. Et cela fonctionne ; les contenus de la chaîne ont été visionnés plus de deux milliards de fois sur internet en 2022, et Arte compte près de 25 millions d’abonnés sur les chaînes sociales, notamment sur YouTube où la chaîne touche une population plus jeune, intéressée par les documentaires et les éclairages proposés.
Nous avons toujours en tête que les usages évoluent rapidement et que ce bouquet doit sans cesse se réinventer et innover. Nous sommes donc très attentifs aux nouvelles pratiques qui se développent, pour pouvoir informer toujours plus largement, via les canaux que les gens utilisent.
Où commence et où s’arrête le pouvoir des médias ? Quelle est leur influence sur la société mais aussi sur l’action du gouvernement ?
Depuis le siècle des Lumières, l’information est, par essence, un progrès pour l’être humain car elle permet l’émancipation et rehausse notre capacité d’action. Au niveau individuel, elle permet de nous positionner par rapport au monde et nous donne des outils pour agir en tant que citoyen. Au niveau collectif, elle structure l’espace public et façonne l’agenda. Pour expliquer cette notion simplement, les journalistes font le tri dans les événements pour mettre en avant ce qui semble important pour la communauté. Ils ouvrent donc la discussion qui permet ensuite aux forces publiques de s’organiser autour d’un certain nombre de propositions ou de thèmes.
Et si l’on reprend rapidement l’histoire du journalisme, les années 1860-1870, et plus largement la fin du XXe siècle, voire au début du XXIe siècle, ont été marquées par le journalisme de masse. Pour des raisons techniques et économiques, on envoyait le même message à tout le monde. Mais avec les médias électroniques, la masse a été remplacée par la multitude. Et cette multitude est bien plus difficile à aborder pour les journalistes.
Or, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les journalistes sont depuis toujours un contre-pouvoir absolument nécessaire. En témoigne un exemple, certes un peu daté, mais toujours aussi pertinent : celui de l’enquête de deux journalistes du Washington Post, qui ont mis en lumière l’affaire du Watergate – d’ailleurs très bien retracée dans le film Les Hommes du président, d’Alan J. Pakula – ayant mené à la démission de Richard Nixon en 1974.
Aujourd’hui, la multiplication des messages rend plus difficile la transmission des informations. Quand une enquête était publiée dans un grand journal national dans les années 1970, celle-ci pouvait facilement être lue, « découverte » par les citoyens, car le nombre de sources d’information était limité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les médias doivent effectuer un travail supplémentaire, après la publication de l’information, pour s’assurer qu’elle atteigne bien le public dans cet univers de surabondance et où l’algorithme fait loi.