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Carcasse de vélos, couches-culottes et vêtements en lambeaux
Une carcasse de vélo, des couches-culottes, un matelas, des vêtements en lambeaux jonchent le sol. Certains, calcinés, fument encore. « Des enfants jouaient ici hier », indique la journaliste palestinienne Hind Khoudary, engoncée dans un gilet pare-balles bleu marine affichant, en grosses lettres, l’inscription « PRESS ». Ce mercredi 18 octobre au matin, une douzaine d’heures à peine se sont écoulées depuis l’explosion meurtrière survenue à l’hôpital Ahli-Arab, à Gaza-Ville, dont Israéliens et Palestiniens se renvoient la responsabilité.
Sur place, Hind Khoudary décrit le champ de ruines laissé par l’attaque dans une vidéo diffusée par l’agence de presse turque Anadolu. Ses traits sont tirés, sa voix essoufflée. À coup sûr, la jeune femme vient de passer une nouvelle nuit sur le pont. « Une semaine que je ne suis pas rentrée à la maison, et je ne sais même pas si ma maison est toujours debout », écrivait-elle, le 16 octobre, sur son compte Instagram.
Une journaliste rare dans l’enclave palestinienne
Palestinienne et basée à Gaza, Hind Khoudary fait partie des rares reporters à travailler aujourd’hui dans l’enclave palestinienne. Celle-ci étant verrouillée par l’État hébreu, aucun journaliste n’a pu y pénétrer depuis que l’attaque du Hamas, le 7 octobre, a de nouveau embrasé le conflit israélo-palestinien. Même des médias d’envergure internationale comme France Télévisions, la BBC, CNN ou France 24 ne disposent pas d’envoyé spécial.
Trois caméras de l’AFP filment Gaza en permanence
Un cadenassage qui nourrit les suspicions sur la fiabilité de l’information depuis la zone, sous contrôle du Hamas, et en restreint la diversité. « Nous nous appuyons beaucoup sur les images de l’AFP et travaillons par ailleurs avec deux de nos fixeurs gazaouis », indique ainsi la directrice de la rédaction de France Télévisions, Muriel Pleynet. Grâce à ses neuf journalistes gazaouis, l’Agence France-Presse s’est en effet imposée comme une source majeure pour de nombreux médias. En plus des informations collectées par ses salariés, elle peut fournir des images filmées par trois caméras. Celles-ci, installées sur le toit de ses bureaux de Gaza-Ville, au sommet d’un bâtiment à Rafah et sur le sol israélien (pointée vers l’enclave), tournent sans interruption.
L’implication des ONG et organisations internationales
Dans ce paysage journalistique contraint, certaines ONG et organisations internationales finissent par jouer un rôle de média. « Au sein de notre équipe de 54 personnes à Gaza, un collègue nous envoie des petits mémos vocaux quotidiens, que nous mettons à disposition des journalistes », explique Shaina Low, conseillère en communication du Norwegian Refugee Council (NRC), depuis Jérusalem-Est.
Des pastilles sonores de deux à trois minutes où Yousef Hammash, journaliste de formation, décrit les affres de la vie quotidienne à l’heure des bombardements. « Impossible de retirer du cash », rapportait-il le 16 octobre, poursuivant : « La moitié de la population est sans abri ». « Les corps arrivent au Nasser Hospital car il n’y a plus de place à la morgue », expliquait-il le lendemain après avoir précisé que « même les journalistes n’ont pas d’eau ».
Les difficiles conditions de travail des journalistes à Gaza
La fermeture de Gaza impose aux journalistes sur place des conditions de travail parmi les plus éprouvantes. À l’impossibilité du repos et aux multiples pénuries s’ajoutent les coupures de courant et d’Internet.
« Notre correspondante parvient à envoyer environ un message par jour en ce moment, mais la communication devient très difficile », rapporte Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF). Jusqu’à empêcher que l’information sorte de la bande de Gaza ? Jonathan Dagher ne l’exclut pas : « La crainte d’un black-out médiatique s’accentue. Notre correspondante a elle-même de plus en plus de mal à joindre ses sources, réduisant de fait la quantité d’information. »
Le danger pour les journalistes à Gaza
Une attente qui laisse craindre le pire. D’après le Comité de protection des journalistes (CPJ), basé à New York, 13 des 17 journalistes tués depuis le 7 octobre sont palestiniens et ont trouvé la mort à Gaza (les autres, trois Israéliens et un Libanais, ont été tués respectivement en Israël et à la frontière libanaise). Le bombardement par l’armée israélienne, en mai 2021, de l’immeuble hébergeant les bureaux de l’agence Associated Press et de la chaîne qatarienne Al-Jazeera à Gaza rappelle à la profession que le statut de journaliste ne prémunit en rien.
Aussi l’enclave n’est pas un terrain de guerre comme un autre. « Même si c’était possible, je ne sais pas si je prendrais la responsabilité d’envoyer quelqu’un, témoigne une reporter qui a couvert plusieurs conflits à Gaza. À Mossoul, en Ukraine, c’est la guerre, mais il y a toujours un plan de repli. À Gaza, non. Tu es prisonnier. »
Le danger, à chaque instant, pèse d’autant plus sur les journalistes qu’il menace également leurs proches. « En même temps qu’ils couvrent l’actualité, la plupart de nos journalistes essaient d’évacuer leur famille vers la frontière égyptienne dans l’espoir de la mettre à l’abri », explique Philip Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP.
Le besoin de recul sur l’information
Conscients du double écueil, les médias internationaux prennent des précautions. « L’ensemble des informations collectées à Gaza est transmis à des équipes à Jérusalem et à Nicosie, qui échangent avec les journalistes sur place et prennent le recul nécessaire pour contextualiser les données en s’appuyant aussi sur les informations communiquées par les ONG et les institutions », précise Philip Chetwynd, à l’AFP.
Salutaire, cette mise à distance ne suffit tout de même pas à pallier l’absence de regard complémentaire. « C’est terrible à dire : auprès de l’opinion occidentale, la parole des journalistes locaux ne porte pas autant que celle des envoyés spéciaux », ajoute la reporter citée plus haut. « Leur travail, indispensable, a pourtant le grand mérite de ne pas abandonner l’information aux réseaux sociaux. »
L’hôpital de Gaza, un cas d’école
Mardi 17 octobre, à 19 h 12, premier « bulletin » de l’AFP : « Gaza : au moins 200 morts dans un raid israélien sur l’enceinte d’un hôpital (Hamas) »
À 21 h 45, Israël attribue au Djihad islamique la frappe ayant touché l’hôpital Ahli-Arab. Le groupe palestinien dément peu après.
Mercredi 18 octobre,à 10 h 53 : lors d’un déplacement à Tel-Aviv, Joe Biden affirme que le tir sur l’hôpital de Gaza semble être le fait de « la partie adverse ».
À 14 h 18, le ministère de la santé (Hamas) donne le bilan d’« au moins 471 morts » dans la frappe sur l’hôpital.
À 18 h 49,« un responsable d’un service de renseignements européen », cité par l’AFP, affirme que le tir meurtrier sur l’hôpital a fait « quelques dizaines de morts, probablement entre 10 et 50 », et qu’« Israël n’a probablement pas fait ça ».