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Laurent Greilsamer : portrait d’un homme au service du journalisme
C’est un jeune homme de 70 ans qui vient de nous quitter brutalement d’un arrêt du cœur. Il était souriant, bienveillant, attachant, et l’élégance de son apparence était le juste reflet de son esprit. Toujours tiré à quatre épingles, avec ce qu’il fallait d’humour et de fantaisie pour balayer chez lui toute trace d’austérité. Pour qui a approché Laurent Greilsamer, et a eu comme moi, trente années durant, le privilège de travailler à ses côtés, sautait aux yeux la haute idée qu’il se faisait de notre métier, le journalisme ; son rapport aux faits, à la vérité, à la précision. La nécessité de dépassionner l’actualité pour mieux en comprendre les enjeux, avec clarté et honnêteté.
Au Monde, où il a passé trente-quatre ans, il savait comme personne pointer la faiblesse d’une analyse, la phrase bancale, la pensée faible ou le sous-entendu inutile. Il savait aussi couper un papier trop long, lui donner du nerf et de la densité, sans trahir son auteur. Au contraire, lui confier une relecture était une garantie. Son regard, toujours vif et chaleureux – et si sensible – derrière les verres ciselés, inspirait tout à la fois confiance et respect. D’une rigueur souriante mais intraitable, il ne laissait rien passer qui aurait perdu ou perturbé le lecteur.
Loin de pinailler, il approfondissait sans relâche, nous forçait à aller plus loin, c’est-à-dire plus près du vrai. Son exigence était à proportion de son ambition pour l’aventure collective que représentait à ses yeux un journal. Ce n’est pas un hasard s’il avait piloté à l’orée des années 2000 la rédaction des Livres de style du Monde, ces sommes uniques de connaissances et de déontologie, clés uniques adaptées à la culture de notre quotidien.
Les procès de Klaus Barbie puis de Maurice Papon
Diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Laurent avait rapidement rejoint le service des « infos génés » du Monde en 1977, à 24 ans, après de brefs débuts au Figaro puis au Quotidien de Paris. Il gardait un souvenir très aigu de ce Monde « primitif » de la rue des Italiens, des rituels du petit matin, des procès nombreux qu’il avait suivis comme rédacteur chargé des dossiers police-justice. Son premier article dans le quotidien du soir, en date du 21 mai 1977, fut un reportage en Normandie agitée par la rumeur d’un « pèlerinage » d’anciens SS au grand cimetière allemand de La Cambe, dans le Calvados.
Un grand reporter au service de la vérité
Devenu grand reporter, il avait réalisé de nombreuses enquêtes à travers le monde, de l’Iran à l’Afrique du Sud en passant par le drame du tremblement de terre d’Erevan, dans l’Arménie soviétique, en 1988. Mais c’est sur le monde judiciaire, le terrorisme (Action directe), les procès pour crimes contre l’humanité de l’officier SS Klaus Barbie puis de Maurice Papon que son sens de l’observation et de la synthèse, mâtiné d’une grande culture historique, avait fait merveille.
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