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Le voyage vers Tanger
Je suis dans « Al Buraq », ce train à grande vitesse, en route vers Tanger pour assister à une cérémonie en l’honneur de l’un des pionniers des médias, mon ami Ahmed Ifzarn, à l’occasion de la publication de son livre « Mouhajiroune ila Assahafa’’ (Migrant vers le journalisme). Le deuxième wagon affichait pratiquement son trop plein. Des femmes et des hommes, échangeaient à voix haute, dans une visible joie et peu préoccupés par la gêne que pouvaient causer aux autres leurs éclats de rire.
Des bijoux, des bagues et bracelets étincelants que portaient ostentatoirement les femmes on pouvait en déduire une appartenance à une classe sociale aisée. Leurs accents et leurs commentaires indiquaient des origines campagnardes d’un niveau d’instruction notable.
Les anecdotes amusantes
L’une des femmes a confié avoir reçu un message d’une amie l’assurant que leur présence à Tanger allait « illuminer la ville », et elle a ri, ajoutant : « Je ne comprends pas ces mots… Chez nous à Doukkala, l’accueil se fait avec un mouton rôti et des cheikhates »… Et ils ont ri sans que le reste des voyageurs en comprenne les véritables raisons. Un autre, prénommé Saïd, a dit à son tour, avant de partir ensemble dans un nouvel éclat de rire : « Nous sommes vendredi, et je pensais que nous mangerions du couscous, c’est pourquoi j’ai apporté avec moi une bouteille de petit lait ». Un autre, nommé Omar, a ajouté : « J’ai juste pris un casse-croute et j’ai oublié ma bouteille de coca »… Tout au long du voyage, ils ont poursuivi leurs échanges, sans se soucier de personne, amusant les uns, dérangeant ou énervant d’autres.
La cérémonie à la Maison de la Presse à Tanger
À la Maison de la Presse à Tanger, un groupe considérable d’amis et de connaissances du journaliste Ahmed Ifzarn s’est retrouvé pour célébrer le confrère et l’ami. Plusieurs discours ont été prononcés pour louer le livre, son auteur et son parcours professionnel… J’ai dit dans mon discours : « Le résumé du livre est qu’un petit garçon, issu d’une famille pauvre d’un village rural, a migré à pied, surmonté les obstacles et est devenu un journaliste célèbre dans une grande ville. »
J’ai saisi l’opportunité pour rappeler que la littérature des mémoires est rare dans notre patrimoine national et que, sur un siècle, les Marocains n’en ont écrit qu’environ une vingtaine, laissant ainsi des vides dans la mémoire nationale. J’ai rappelé que les endroits les plus précieux au Maroc se trouvent dans les cimetières, car peuplés d’hommes et de femmes partis sans laisser traces écrites de leur vie, de leurs efforts et de leurs réalisations.
Les difficultés de l’édition et de la distribution
J’ai abordé les difficultés rencontrées par les auteurs au niveau des imprimeries, l’importance de suivre les étapes de réalisation, puis le problème de distribution et l’existence d’une seule entreprise sans concurrence, qui prélève une commission pouvant atteindre quarante-cinq du prix du livre. J’ai appelé à la nécessité, dans le contexte marocain, de déplacer que les livres vers les lecteurs, et non l’inverse, d’où l’importance d’organiser des caravanes du livre qui sillonneraient les petites villes et les villages isolés pour offrir aux populations une chance de rencontrer la lecture.
La lecture et les réseaux sociaux
Dans une présentation détaillée, j’ai parlé du problème de la lecture dans notre pays, et dans des pays similaires, où les gens se sont éloignés des bibliothèques… Les gens ne lisent pas et au Maroc, le temps de lecture annuel par citoyen ne dépasse pas les six minutes, tandis que ce taux atteint plusieurs heures dans d’autres pays… J’ai donné un exemple en rappelant « les temps d’autrefois » quand la presse vendait un demi-million de copies par jour, ce qui était déjà peu, alors que ses ventes aujourd’hui ne dépassent pas les trente mille… J’ai commenté cette situation en m’interrogeant sur cet état des lieux illogique et incompréhensible dans un pays où la population atteint près de quarante millions d’habitants ».
J’ai consacré un long chapitre de mon intervention aux réseaux sociaux, les considérant comme un « mal nécessaire », car ils ont ouvert des perspectives pour que tous puissent participer et exprimer leur opinion. Notant cependant que ces réseaux se sont transformés en une compétition pour le profit sans considération pour l’éthique de la communication, devenant ainsi une source de fausses nouvelles, de rumeurs, de propagande, et de marchandage.
Le livre de Ahmed Ifzarn
Je suis revenu sur le livre de mon ami Ifzarn, analysant certaines de ses thématiques, en particulier son enfance difficile et l’attention particulière qu’il apportait aux détails de celle-ci, considérant cette partie du livre « digne d’études sociologiques et anthropologiques ». J’ai considéré son livre comme une partie du « patrimoine immatériel », compte tenu de sa description précise de la vie d’une famille marocaine pauvre qui a vécu la sécheresse, la faim, et fait face à des campagnes répressives de la part des autorités coloniales.
« Migrant vers le journalisme » m’a rappelé mes lectures de Mohammed Choukri, notamment dans son ouvrage Le Pain nu où il narre sa lutte avec la vie, sa pauvreté, sa ténacité, mais aussi celle de « Walter Harris » et ses récits sur la présence étrangère et ses complots contre l’indépendance du Maroc…
Conclusion et appel
J’ai fini en lançant un appel aux participants les priant et les incitant à écrire leurs mémoires pour préserver la mémoire collective nationale et laisser aux historiens à venir un matériau sur lequel travailler.
Tard dans le soirée, je suis retourné à Rabat, dans une ambiance calme dans un train à grande vitesse que je considère comme l’une des grandes réalisations du règne de Mohammed VI… Merci Majesté.