Un discours courant attribue aux plateformes numériques et à leurs algorithmes la responsabilité d’amplifier les hostilités en ligne et la polarisation politique. Certains affirment qu’avec les discussions anonymes en ligne, n’importe qui pourrait devenir un « troll » ou se « radicaliser ».
Cependant, des recherches récentes en sciences sociales quantitatives et en psychologie scientifique apportent des nuances à cette vision pessimiste.
Sommaire :
L’importance du contexte sociopolitique et de la psychologie
Facteurs psychologiques et socio-économiques
Plusieurs études montrent que l’incivilité dans les discussions politiques en ligne est partiellement due à des facteurs psychologiques et socio-économiques préexistants aux plateformes numériques.
Étude interculturelle
Une vaste étude interculturelle a interrogé plus de 15 000 personnes dans 30 pays différents. Il en ressort que l’hostilité en ligne est plus fréquente dans les pays aux inégalités économiques prononcées et aux régimes moins démocratiques, comme la Turquie ou le Brésil. Les frustrations sociétales en sont les principales causes.
Personnalité et recherche de statut
L’étude révèle également que ceux qui font preuve d’hostilité en ligne sont souvent motivés par la recherche de statut social par la prise de risque. Ce trait de personnalité est lié à une orientation vers la dominance. Ces individus sont plus nombreux dans les pays inégalitaires et non démocratiques. La dominance est également un facteur clé de la conflictualité politique.
Corrélation entre hostilité en ligne et hors ligne
Les recherches montrent une forte corrélation entre l’hostilité en ligne et celle hors ligne. Les personnes agressives en ligne tendent également à être agressives dans les interactions en face à face.
En somme, l’hostilité politique en ligne est majoritairement le fruit de personnalités particulières, exacerbées par des contextes sociaux inégalitaires. Pour réduire cette hostilité, il est crucial de diminuer les disparités de richesse et de rendre les institutions plus démocratiques.
Les réseaux : prismes exagérant l’hostilité ambiante
Rôle des plateformes numériques
Bien que notre étude replace l’hostilité politique en ligne dans un contexte plus large, elle ne nie pas le rôle des plateformes numériques dans la polarisation politique.
Diffusion de contenu
Les réseaux sociaux permettent de diffuser du contenu à grande échelle, ce qui peut informer ou énerver des millions de personnes à un faible coût. Cela s’applique aussi bien à des informations intentionnellement trompeuses qu’à des biais politiques involontaires.
Anonymat et dépersonnalisation
Les interactions anonymes réduisent le sentiment de responsabilité personnelle et l’empathie, transformant les interlocuteurs en membres anonymes de « tribus » politiques opposées.
Prisme déformant de la société
Comme le journalisme, les réseaux sociaux sont des prismes déformants des opinions. Les contenus extrêmes et clivants sont souvent mis en avant par des algorithmes programmés pour attirer l’attention.
La majorité des utilisateurs, qui sont plus modérés, hésitent à s’engager dans des discussions politiques souvent perçues comme toxiques.
Ces biais créent l’impression trompeuse que les opinions radicales sont plus répandues qu’elles ne le sont réellement.
Quand l’exposition à la différence énerve
Exposition aux opinions adverses
L’utilisation des réseaux sociaux peut accentuer l’hostilité politique en exposant les utilisateurs à des versions caricaturales et agressives des positions politiques adverses.
Diversité d’opinions
Contrairement à la croyance populaire, la plupart des réseaux sociaux ne créent pas de « chambres d’écho » homogènes. Les grandes plateformes montrent une diversité d’opinions supérieure à celle de nos cercles sociaux réels.
Effet paradoxal
Selon le sociologue Chris Bail, l’exposition répétée à des contenus moqueurs des ennemis politiques renforce paradoxalement les positions et identités préexistantes des utilisateurs. Cependant, cet effet peut varier en fonction du temps d’exposition.
Effets du non-usage des réseaux sociaux
Certaines études montrent que l’arrêt de l’utilisation de réseaux comme Facebook et Instagram n’a pas d’impact détectable sur la polarisation politique des utilisateurs. Ce constat invite à une approche nuancée des liens entre réseaux sociaux et hostilité politique.
Antoine Marie, Chercheur post-doctorant, École normale supérieure (ENS) – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation