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La raison d’être de l’audiovisuel public en France
L’audiovisuel public fait partie en France de ces monuments, au même titre que la politique culturelle dont il procède en partie, auxquels on ne touche jamais sans provoquer de vives réactions. Trois questions essentielles devraient pourtant faire l’objet d’une réflexion sans tabou.
La légitimité de l’intervention publique
Pourquoi faut-il un audiovisuel public ? Pourrait-on imaginer qu’il n’y en ait pas ? Il faudrait toujours oser reposer la question de la légitimité de l’intervention publique dans tous les domaines allant au-delà des missions purement régaliennes. On a trop tendance à la prendre pour une évidence. Nous devrions pouvoir réinterroger l’utilité d’une institution qui coûte chaque année près de 4 milliards d’euros aux contribuables français. Une intervention de l’État n’a de légitimité que si le libre jeu des initiatives individuelles et du marché ne permettait pas d’obtenir le même résultat. A fortiori lorsque le niveau des impôts et taxes atteint déjà chez nous un niveau record.
L’audiovisuel public a trois missions : informer, cultiver et divertir. Que peut-on dire de leur pertinence ?
La pertinence des missions de l’audiovisuel public
L’audiovisuel public a trois missions : informer, cultiver et divertir. Que peut-on dire de leur pertinence ?
Avons-nous besoin de l’État pour informer ? Ce n’est pas certain, dans la mesure où il existe un nombre suffisamment large de producteurs d’informations. Journaux, télévision, radio et internet : l’offre est variée et aisément accessible. Admettons pourtant que le reproche classique soit fondé : la propriété de la plupart des médias télévisuels par quelques intérêts privés pourrait faire courir un risque de partialité. L’existence d’un éditeur public d’information peut alors se justifier. Mais nul besoin de nombreuses rédactions pléthoriques : un gisement important de réduction de coût peut sans doute y être facilement identifié.
La mission d’éducation et de culture est celle qui se justifie le plus facilement : on sait que le jeu naturel de la demande favorise peu la création d’un mieux-disant culturel.
En revanche, la mission de divertissement, qui est proportionnellement la plus coûteuse, est un absurde gâchis : les chaînes privées font cela très bien, sans mobiliser l’argent public. Sans nécessairement remettre en cause le montant total du budget, le périmètre des contenus pourrait être radicalement revu pour que les moyens considérables soient alloués dans des offres culturelles s’inspirant de l’excellent exemple d’Arte. Il faudrait faire Arte au cube : toujours plus de débats intelligents, de documentaires, de créations originales de qualité.
L’efficience des dépenses de l’audiovisuel public
La deuxième grande question qui se pose relativement à l’audiovisuel public est celle de l’efficience des dépenses. Les comparaisons avec le privé sont éloquentes : pour de mêmes contenus, les dépenses sont souvent plus élevées dans le public. C’est aisément explicable : le privé dépend des revenus publicitaires qui se raréfient et accomplit de constants efforts d’optimisation de ses coûts. Le public, protégé par la manne de son financement public, n’a guère d’efforts à faire.
On sait le résultat : le « gras » de l’organisation, les emplois superflus, la productivité plus faible peuvent se développer sans mal. Mécanisme classique de dérive. À cela s’ajoute le fait que la convergence des médias et l’évolution des consommations de plus en plus multimodales plaideraient pour un rapprochement de la radio et de la télévision. Il ne doit néanmoins être accompli qu’après avoir identifié clairement les synergies possibles. Le risque serait de créer une sorte de grande ORTF plus lourde et bureaucratique qu’avant.
La neutralité politique du service public audiovisuel
Troisième question, qui se pose avec une acuité renouvelée depuis la polémique concernant le pluralisme chez CNews : celle de l’absence de neutralité politique du service public audiovisuel. Les déclarations de Delphine Ernotte en 2023 selon lesquelles France Télévisions se donne pour objectif de montrer le monde non tel qu’il est mais « tel qu’on voudrait qu’il soit » posent un problème. Qui est-ce « on » ? Qui l’a désigné et en quoi représente-t-il les Français ? Comment fait-il son choix parmi les projets de société possibles ?
L’audiovisuel public ne peut être démocratiquement légitime, et donc budgétairement admissible, qu’à la condition d’observer une parfaite neutralité. Comme pour l’armée, l’engagement politique est pour lui un péché capital. Prendre parti une fois, c’est perdre son rôle de carrefour du débat public. On ne voit pas comment cette neutralité pourrait prendre une autre forme que celle d’une représentation proportionnelle aussi fidèle que possible des différents courants partisans ayant une représentation nationale.
Il ne s’agit pas d’être pour le pouvoir en place ou contre, ni pour ou contre les extrêmes de gauche comme de droite, mais d’assurer l’expression la plus fidèle possible de tous les courants d’opinion ayant trouvé une adhésion démocratique. Un journaliste ne devrait jamais être un militant, encore moins un activiste, mais un sceptique par devoir et méthode. Doutant de tout et jamais vraiment convaincu. Avouons que ce n’est pas toujours exactement la posture dans laquelle le spectateur a l’impression que se trouvent les médias qu’il finance par ses impôts.
L’avenir de l’audiovisuel public
L’audiovisuel public a un rôle clé à jouer pour la démocratie et la cohésion sociale. Mais il ne peut plus faire l’économie d’une réflexion sans tabou sur ses objectifs et ses moyens. Comme toute organisation livrée à elle-même et protégée de la concurrence, elle peut finir par exister pour elle-même et dans l’intérêt exclusif de ceux qui y travaillent. Le contexte d’extrême difficulté budgétaire et d’affaiblissement institutionnel dans lequel la France se trouve désormais appelle une remise à plat du périmètre de l’audiovisuel public, un effort considérable sur ses coûts et un rétablissement de sa posture de neutralité.