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Immersion dans le cinéma d’Agnès Varda
Voilà déjà deux semaines que la plate-forme d’Arte propose de s’immerger dans le cinéma d’Agnès Varda (1928-2019), de son premier long-métrage, La Pointe courte, réalisé avec l’argent de l’héritage paternel en 1954, à sa dernière fiction, Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma (1995), quarante ans plus tard – treize films en tout.
Le documentaire « Viva Varda ! »
Le 30 octobre, on a découvert, toujours sur Arte.tv, Viva Varda !, le libre et beau documentaire de Pierre-Henri Gibert, présenté quelques jours plus tôt au festival Cinemed de Montpellier. Que l’on ait besoin de repères pour se retrouver dans le parcours d’Agnès Varda, marginale célèbre, anarchiste autoritaire, iconoclaste qui a façonné sa propre image, ou que l’on soit assez vieux spectateur pour vouloir refaire le chemin accompli en sa compagnie, Viva Varda ! offre des éclairs de lumière crue, des perspectives insoupçonnées, des bouffées de nostalgie enivrantes. Difficile, après avoir vu le film de Gibert, de ne pas céder au désir de revoir tout ce que l’on connaît, de voir ce qui reste à découvrir.
Le parcours non conventionnel d’Agnès Varda
On peut attribuer au destin et à l’histoire une part de la singularité du destin d’Agnès Varda. Alors qu’elle est destinée à une enfance bourgeoise en Belgique – son père est un riche industriel –, l’exode de 1940 lui fait passer la seconde guerre mondiale sur une péniche amarrée dans le port de Sète (Hérault), à côté d’un bateau occupé par une tribu d’artistes. On peut aussi penser que, quelles qu’aient été les circonstances, Agnès Varda serait sortie du droit chemin, puisque c’est elle qui décide de chaque tournant de sa vie, qu’elle préfère l’apprentissage du métier de photographe à l’université, qu’elle décide de dépenser d’un coup l’héritage paternel pour réaliser un film ou d’élever seule son premier enfant, Rosalie.
La lutte pour la liberté artistique
Le ton se fait parfois gentiment ironique lorsqu’il s’agit de suivre la construction du système Varda. Sans jamais oublier que ce mélange de sens des affaires et des relations publiques était d’abord affaire de survie. Agnès Varda n’était pas de ces cinéastes qui s’épanouissent dans le compromis et la négociation. Faisant de son intransigeance une marque de fabrique, elle parvient encore et encore, parfois de justesse, à tenir la faillite en respect, avec les triomphes inattendus de Sans toit ni loi, en 1985, ou des Glaneurs et la Glaneuse, en 2000. Ses collaborateurs, ses enfants disent l’énergie farouche, la violence, parfois, qu’elle mettait dans la poursuite de sa liberté artistique.
Les œuvres marquantes d’Agnès Varda
Viva Varda ! donne à voir juste assez des images des films réalisés par son prodigieux sujet pour que l’on prenne la mesure de sa faculté d’innovation, dans les plans de La Pointe courte, ou, sept ans plus tard (parce qu’on n’hérite pas tous les jours pour financer ses productions, et que le cinéma français ne brillait pas alors par son féminisme), dans ceux de son deuxième long-métrage, Cléo de 5 à 7 (1962), le film qui assure enfin sa gloire. De sa rencontre avec Jacques Demy, son compagnon – dont le cinéma est aux antipodes de celui de Varda –, le film de Pierre-Henri Gibert ne cache pas la complexité, les ambiguïtés qui mèneront au désespoir amoureux dont témoigne Documenteur, cette fiction, réalisée en 1980, pétrie de réalité, le plus douloureux des films de la réalisatrice.
La renaissance de la carrière d’Agnès Varda
Avec la même douceur, à laquelle s’ajoute désormais une lucidité impitoyable, Le Bonheur (1965) met en scène la dissolution d’un couple (Jean-Claude et Claire Drouot) au moment même ou la prospérité leur tend les bras. En 1977, L’une chante, l’autre pas se nourrit des souvenirs encore tout frais de la lutte pour le droit à l’avortement (lorsque l’avocate Gisèle Halimi participe à la reconstitution du procès de Bobigny de 1972, par exemple), dont Varda fut une militante, pour esquisser une utopie féministe. Passer l’automne avec Agnès Varda (à laquelle la Cinémathèque française consacre aussi une rétrospective et une exposition), c’est explorer un de ces lieux rares où le domaine du possible et l’empire du désir coïncident.