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Défenseurs de la démocratie ou enquêteurs opiniâtres
Les multiples incarnations des journalistes dans la fiction
Défenseurs de la démocratie ou enquêteurs opiniâtres, les journalistes sont aussi des personnages de fiction. Leurs multiples incarnations ont souvent modifié le regard du public, mais qu’en est-il de celui des principaux intéressés ? Dans la série 7e art et 4e pouvoir, Le Devoir donne la parole à des journalistes de tous les horizons pour connaître leur perception du métier à travers le cinéma.
Impossible de manquer Josée Boileau tant elle semble posséder le don d’ubiquité, du moins sur le plan médiatique. Non seulement on peut lire ses analyses politiques et sociales dans le magazine L’Actualité, mais sa passion pour la lecture l’a transformée en chroniqueuse littéraire pour Le Journal de Montréal. C’est sans compter sa participation à diverses émissions sur ICI Radio-Canada Première. Tout cela est entrecoupé de périodes d’écriture sur des sujets qui lui tiennent à cœur, tels le journalisme (Lettres à une jeune journaliste, VLB éditeur, 2016), l’état du Québec contemporain (J’ai refait le plus beau voyage, Somme toute, 2019), mais aussi sur des événements tragiques qui ne cessent de la bouleverser, comme la tuerie de Polytechnique le 6 décembre 1989 (Ce jour-là. Parce qu’elles étaient des femmes, Éditions La Presse, 2019).
Une carrière marquée par le Devoir
Les fidèles lecteurs du Devoir se souviennent très bien d’elle. Sa carrière, couvrant quatre décennies, se confond avec la trajectoire de ce journal, et s’est déroulée en deux temps. Après un premier passage au Devoir de 1989 à 1993 à titre de journaliste, elle est revenue au bercail en 2001 jusqu’en 2016, occupant successivement les postes d’éditorialiste, de directrice de l’information, et finalement de rédactrice en chef.
Une entretien animé chez Josée Boileau
C’est dans sa maison qu’elle a bien voulu recevoir Le Devoir pour un échange animé, ponctué de rires et d’anecdotes, le tout agrémenté des courbettes de Janette, une chatte aussi belle qu’espiègle. Et visiblement jalouse devant la présence encombrante des deux intrus de ce journal !
Cinéma et journalisme selon Josée Boileau
Si vous aviez à vous définir comme cinéphile, que diriez-vous ?
Je me qualifierais de cinéphile patriote ! Ma priorité demeure le cinéma québécois, car si nous ne l’encourageons pas, ce ne sont pas les Américains, les Français ou les Belges qui le feront. C’est fondamental pour moi d’aller en voir le plus possible, et dans une salle de cinéma. D’autant plus que les cinéastes, en grande majorité, conçoivent leurs films pour être vus sur grand écran ; je veux respecter cette démarche. Ces derniers mois, j’ai eu un énorme coup de cœur pour Vampire humaniste cherche suicidaire consentant [d’Ariane Louis-Seize, 2023], qui m’a beaucoup fait rire, ainsi que pour Richelieu [de Pier-Philippe Chevigny, 2023]. Ce cinéaste nous présente une situation très complexe sans tomber dans le machiavélisme, et les acteurs sont formidables. J’aime aussi beaucoup les séries télévisées québécoises.
Vous avez d’ailleurs déjà écrit dans l’une de vos chroniques dans L’Actualité, et avec un certain regret : « Dans mon milieu, on “tripe” sur Netflix ou HBO, pas sur Noovo ! »
On aura beau réclamer une réglementation pour tous les Netflix de ce monde, la responsabilité première du citoyen, c’est d’encourager ses propres productions. Quand on demande aux écrivains québécois les œuvres qu’ils préfèrent, ce sont souvent des œuvres américaines. Et dans leurs romans, je ne compte plus le nombre de fois où ils citent des chansons américaines. Ça m’exaspère !
Avez-vous du plaisir, ou peut-être un certain embarras, à voir des films ou des séries qui se déroulent dans le milieu journalistique ?
Lors de la diffusion de Scoop [1992-1995], j’étais déjà journaliste, et je savais pertinemment que c’était moins exaltant que cette série. D’ailleurs, ce ne sont pas les films sur le journalisme qui m’ont inspirée à faire ce métier. J’ai grandi dans une famille où on lisait beaucoup de magazines, beaucoup de journaux — sauf Le Devoir, trop intellectuel par rapport à mon milieu ! —, et dans La Presse, mes idoles étaient Lysiane Gagnon et Marc Laurendeau. J’adorais leurs analyses, mais est-ce qu’un cinéaste oserait faire un film sur un journaliste qui écrit des analyses ? Ce qui me passionnait, c’était la réalité, et mes idoles étaient bien ancrées dans la réalité.
Des films qui capturent une certaine réalité journalistique
Sentez-vous tout de même que certains films réussissent à cerner une part de la réalité journalistique ?
J’ai été recherchiste à la télévision pour une émission en direct, et le direct à la télé, c’est extraordinaire, encore plus qu’à la radio. C’est pourquoi j’ai une affection particulière pour Broadcast News [de James L. Brooks, 1987], même si c’est peut-être un peu exagéré. J’ai le souvenir d’un invité que je poussais — littéralement ! — dans le corridor 30 secondes avant d’entrer en ondes parce qu’il était le premier, et en retard ! Un autre film qui me semble bien coller au journalisme télévisé est inspiré du véritable parcours d’une correspondante de guerre [Kim Barker] en Afghanistan, Whiskey Tango Foxtrot [de Glenn Ficarra et John Requa, 2016]. Elle est interprétée par Tina Fey, et incarne très bien l’adrénaline nécessaire pour accomplir ce genre de couverture, de même que la désinvolture : le jour elle travaille sous les bombes, et le soir, elle fait la fête dans une boîte de nuit pour se dépouiller de cet immense stress.
Votre intérêt relatif pour les films mettant en scène des journalistes tient peut-être à votre connaissance profonde du milieu, de même qu’à votre envie de faire du cinéma « une évasion » ?
Pour toutes sortes de raisons, et parce que le milieu ne cesse de changer, je trouve toujours que ces films reflètent mal notre réalité. Je pense que c’est un peu la même chose pour les gens de toutes les professions. Mon père était policier, il aimait les intrigues policières, mais il n’arrêtait jamais de dire à quel point ça n’avait aucun rapport avec son travail et celui de ses collègues. Ma fille est avocate, et j’ai eu beau lui parler du formidable plan-séquence au début des Chambres rouges [de Pascal Plante, 2023] dans un tribunal, du Procès Goldman [de Cédric Kahn, 2023] ou d’Anatomie d’une chute [de Justine Triet, 2023], ça ne l’intéresse pas. Et elle voit tout ce qui ne fonctionne pas par rapport à la réalité.
Mais pour les néophytes, les fictions peuvent devenir de magnifiques portes d’entrée sur des mondes auxquels nous n’aurions pas accès autrement.
Voilà pourquoi j’adore les films à caractère sociopolitique. Par exemple, j’ai connu un jeune Chilien voulant s’installer ici et qui devait faire des sous. Il s’est retrouvé dans des usines à poulets ou à ramasser des carottes : avant cela, je n’avais aucune idée des conditions de travail dans ces milieux. Alors, quand je lis les reportages de Sarah R. Champagne dans Le Devoir pour ensuite visionner un film comme Richelieu [sur le quotidien harassant de travailleurs immigrants temporaires latino-américains dans une usine à travers le regard d’une Québécoise dont le père est d’origine guatémaltèque], ça vient corroborer tout ce que je sais. Je pense aussi à une image très éloquente dans Ru [de Charles Olivier-Michaud, 2023] où l’on voit un plan sur… des pantoufles en Phentex ! Tout est là : la culture et la famille québécoises, les années 1970, le processus d’intégration, etc. Pas besoin d’une seule ligne de dialogue, on comprend tout ; ces moments-là témoignent de la force du cinéma.
Vous signez des chroniques littéraires dans Le Journal de Montréal. Êtes-vous friande d’adaptations cinématographiques de romans ?
Réponse courte : non ! Je suis mère de quatre enfants, j’ai lu à chacun d’eux la série des Harry Potter, nous possédons tous les films à la maison… et je n’en ai pas visionné un seul ! Les rares extraits vus dans des publicités me montraient des personnages que je n’avais pas du tout imaginés de cette manière. Parmi les rares films inspirés de romans qui m’ont plu, il y a Le nom de la rose [de Jean-Jacques Annaud, 1986], où les personnages correspondent bien à ceux du roman d’Umberto Eco, et Carrie [de Brian De Palma, 1976], un film brillant sur l’adolescence que j’ai visionné plusieurs fois, tout à fait à la hauteur du roman de Stephen King.