Sommaire :
Dénonciation des conditions d’attribution de la carte de presse
Dans une tribune publiée le 16 janvier sur telerama.fr, près de deux cents professionnels, « journalistes d’investigation, reporters, réalisateurs de documentaires, correspondants de presse, photojournalistes », dont plusieurs Prix Albert-Londres, ont dénoncé un mode d’attribution de la carte de presse « qui ne reflète plus la réalité du journalisme actuel, touché comme d’autres secteurs par une forme d’ubérisation. » Dans un texte commun, ils ont appelé à revoir les conditions d’obtention d’ »un outil de travail, souvent indispensable, et parfois vital » à l’exercice du métier : « Il n’est pas acceptable qu’une part grandissante de la profession soit contrainte d’exercer en dehors du cadre protecteur d’un statut légal de journaliste. Cela représente une menace grave à la liberté d’informer. »
Réponse de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels
« Nous, élus journalistes et représentants employeurs à la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, nous réjouissons qu’une centaine de titulaires de la carte de presse, salariés de l’audiovisuel, de la presse écrite ou de “pure players”, se mobilisent par solidarité dans une tribune publiée ce 16 janvier sur le site de Télérama. Mais nous regrettons que cette énergie se focalise contre le baromètre de la profession, sans expliquer les raisons de certaines situations ni proposer de solutions à la source.
Nous nous devons également de rappeler ce qu’est la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels et quelle est sa mission. En France, la carte professionnelle des journalistes n’est délivrée ni par un employeur ni par un syndicat, encore moins par l’État, mais par une instance indépendante, paritaire et professionnelle. Dialogue social et élections nous semblent des modèles toujours pertinents dans une société démocratique. »
Comment la CCIJP pourrait ne plus être le reflet du journalisme actuel alors qu’elle a délivré 34 051 cartes en 2023 ?
Le rôle de la CCIJP n’est pas de dire qui est un bon ou un mauvais journaliste. La déontologie journalistique est discutée en d’autres lieux. C’est d’ailleurs une garantie contre toute forme de censure ou de parti pris. La CCIJP constate qui est journaliste professionnel au regard de la loi et attribue la carte de presse en conséquence.
Comment la CCIJP pourrait ne plus être le reflet du journalisme actuel alors qu’elle a délivré 34 051 cartes en 2023 ? Pour la première fois depuis dix ans, les journalistes détenteurs de la carte d’identité de journaliste professionnel sont d’ailleurs plus nombreux que l’année précédente. Un chiffre à mettre en regard avec les 711 refus prononcés, soit 2 % des demandes.
Appel à une réflexion plus large
Depuis la création de la CCIJP, le paysage médiatique s’est profondément transformé, mais les représentants de la profession ont su s’emparer des critères posés par le législateur dans le Code du travail (article L.7111-3 et suivants). Aujourd’hui, des journalistes travaillant sur des podcasts ou sur des chaînes YouTube peuvent être titulaires de la carte de presse.
Le premier critère légal, évidemment, est d’avoir une activité de journaliste. Toutes les activités proches du journalisme, aussi nobles soient-elles, ne se confondent pas avec le journalisme. Ce critère fondamental n’est pas suffisant. Cette activité doit s’exercer dans « une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse ». La CCIJP accompagne aussi les journalistes qui ont prolongé leur travail à travers un livre, à condition que cette activité d’édition soit limitée dans le temps.
Nous cherchons régulièrement à actualiser nos règles pour mieux prendre en compte la réalité sociale et professionnelle de l’exercice du journalisme.
Nous partageons l’indignation des signataires de la tribune. Il n’est pas « acceptable qu’une part grandissante de la profession soit contrainte d’exercer en dehors du cadre protecteur d’un statut légal de journaliste. » Le socle de ce cadre protecteur est le salariat.
Très conscients de la précarité de la profession, car aux premières loges pour la constater, les membres de la Commission renouvellent la carte de presse à des niveaux de rémunération proches aujourd’hui des minima sociaux, comme ils délivrent des cartes de presse à des journalistes privés d’emploi. Chaque demande de carte est étudiée individuellement, avec le souci de protéger les plus précaires. Tout en respectant le cadre légal dans lequel évolue la CCIJP, nous cherchons régulièrement à actualiser nos règles pour mieux prendre en compte la réalité sociale et professionnelle de l’exercice du journalisme.
Mais ce n’est pas la CCIJP qui impose les termes des relations entre le journaliste et son employeur. Pas plus qu’elle ne peut les requalifier. Quel dommage de mobiliser une telle énergie en se trompant de cible. En oubliant que le paiement d’un travail journalistique sur facture, en droits d’auteur ou sous le régime de l’intermittence est souvent le fait d’employeurs, y compris du service public, qui souhaitent s’affranchir des obligations du statut et que cette situation, quand elle est subie, constitue la véritable précarité. Il y a là bien des actions à mener.
Le soutien d’éminents confrères et consœurs serait bienvenu auprès des pigistes qui bataillent pour conserver leur mode de rémunération en salaire. Ils sont 8 770 à avoir obtenu leur carte en 2023 à ce titre. Exercer sous ce statut protecteur du salariat qu’a prévu le législateur, c’est aussi faire un choix : celui d’être dans le régime général de l’indemnisation du chômage.
Comme le soulignent les signataires de la tribune, la carte de presse française a une reconnaissance nationale et même internationale. Cette crédibilité doit beaucoup au sérieux de la CCIJP, dont le rôle est d’attribuer la carte, mais aussi de savoir dire non. Les membres de la Commission ne sont pas infaillibles, même si les refus sont toujours le fruit d’une décision collégiale. C’est pour cela que des recours sont possibles.
En plein cœur des États généraux de l’information, pointons les pratiques illicites de certains employeurs, signalons les difficultés de financements de reportages longs formats, demandons une réflexion sur la couverture sociale des correspondants de médias français à l’étranger pour les sortir de la précarité. Confortons le statut de journaliste professionnel et la CCIJP, créés par la loi de 1935. Son objectif était de défendre une information de qualité en améliorant les conditions de vie des journalistes. Ce rôle social de la carte de presse reste résolument d’actualité.
Les présidents et présidentes de la CCIJP ont déjà rencontré plusieurs des signataires de la tribune du 16 janvier. Nous sommes toujours là pour échanger avec eux et répondre à leurs questions dans le but de protéger la profession et accorder des cartes.
Signataires : Catherine LOZAC’H (SNJ) – présidente de la CCIJP ; Bénédicte WAUTELET (SPQN) – vice-présidente de la CCIJP ; Élisabeth BRACONNIER (SNJ-CGT) – vice-présidente de la CCIJP ; Kathleen GROSSET (FFAP) – secrétaire générale de la CCIJP ; Yoann LABROUX-SATABIN (CFDT) – secrétaire général de la CCIJP ; Philippe BEAUVILLARD (FNPS) – trésorier de la CCIJP ; Claude CORDIER (SNJ) – ancien président de la CCIJP ; Richard LAVIGNE – ancien président de la CCIJP ; Éric MARQUIS (SNJ) – ancien président de la CCIJP ; Olivier DALAGE (SNJ) – ancien président de la CCIJP.

