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Difficulté de vérification des informations dans le conflit Israël-Hamas
Depuis le début des hostilités entre Israël et le Hamas, les informations circulent à une vitesse qui rend la vérification de celles-ci de plus en plus difficile pour les médias américains. Difficile pour eux aussi de ne pas afficher leur parti pris – conscient ou pas – dans le traitement de ces nouvelles. Le résultat ne laisse pas souvent place à la nuance et à la réflexion.
AllSides : une alternative aux médias traditionnels
AllSides est un organisme américain qui classe les partis pris politiques des principaux médias et qui présente différentes versions de nouvelles similaires provenant de sources de droite, de gauche et du centre, dans le but de montrer au public des informations se situant en dehors de leur filtre de lecture. L’organisme met à jour sa grille de classification de l’orientation politique de couverture des événements par les médias américains.
Des médias classés selon leur orientation politique
Sans surprise, on y voit des médias comme Fox News, OAN ou Newsmax être affichés vers l’extrême droite du spectre politique. À l’opposé, à gauche, on peut retrouver The New York Times, CNN et CBS et, encore plus à gauche, MSNBC. Quelques médias sont catalogués au centre, comme le Wall Street Journal ou Reuters.
AllSides produit une grille d’analyse des partis pris des médias américains.
Photo : Capture d’écran
Partialité et traitement de l’information
Henry Brechter, rédacteur en chef de AllSides, constate que la partialité dans ce conflit entre Israël et le Hamas est la plus spectaculaire des couvertures qu’il analyse.
Il ne s’agit pas de savoir quel parti politique vous préférez ou ce que vous voulez que vos enfants apprennent à l’école. Il s’agit de questions existentielles, des droits de la personne, et je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles la partialité est encore plus prononcée que d’habitude.
Le journalisme face à l’exclusivité
M. Brechter donne deux exemples qui ont fait les manchettes ces derniers jours et qui ont profondément divisé les médias et le public américains.
Quand on a entendu que le Hamas avait décapité des enfants dans certaines des régions où il s’était infiltré, nous avons vu des médias de droite, ici aux États-Unis et dans le monde entier, qui se sont empressés de reprendre ces informations. Ils se sont empressés de publier des commentaires de responsables des forces de défense israéliennes, de responsables du gouvernement israélien, affirmant qu’ils avaient vu des preuves. Mais, à ce jour, nous n’avons toujours pas de preuve publique directe de ces décapitations.
D’un autre côté, ajoute-t-il, il y a eu l’histoire de l’hôpital Al-Ahli de Gaza.
Les médias de gauche ont vite repris les premières informations et déclarations des responsables palestiniens qui ont déclaré qu’il semblait qu’Israël avait bombardé l’hôpital. Puis il est apparu que c’était probablement ce que les gouvernements et les responsables occidentaux avaient dit, au vu des preuves examinées. Mais, ce ne semble pas être le cas, puisqu’il s’agirait d’un missile perdu tiré par un groupe islamique.
L’attaque sur l’hôpital Al-Ahli a suscité un traitement de l’information très différent selon les médias.
Photo : afp via getty images / DAWOOD NEMER
Il estime que, dans les deux cas, les journalistes ont sauté le pas et ont rapporté des choses qui correspondaient probablement à leurs propres préjugés et à leurs propres points de vue.
Et lorsque les journalistes sont aussi divisés, dit-il, il est très facile pour la population de se fracturer davantage. Les émotions sont, j’en suis sûr aussi, très vives dans les salles de rédaction.
Kelly McBride, première vice-présidente du Craig Newmark Center for Ethics and Leadership, déplore cette course à la primeur qui entache la profession.
Les tendances politiques de l’organisation s’ajoutent à la pression de production de l’industrie pour être le premier, en particulier sur le sujet de l’hôpital.
Je pense que les erreurs qui ont été commises l’ont été pour des raisons de production, tout le monde voulait être le premier. Et la raison pour laquelle vous voulez être le premier à diffuser, c’est qu’il y a tellement d’informations qui circulent.
Là encore, l’orientation politique des organisations de presse a joué un rôle dans la suite des choses.
Beaucoup de salles de rédaction ont corrigé très, très rapidement, mais celles qui ont mis beaucoup plus de temps à corriger ou qui n’ont pas corrigé du tout ont probablement un penchant politique plus marqué
Perte de confiance du public envers les médias
Un sondage Gallup publié la semaine dernière indique que seulement 32 % des Américains font assez bien ou bien confiance aux médias pour rendre compte de la réalité. Cette proportion correspond au plus bas niveau de confiance jamais atteint par ce sondage.
La confusion dans les sources d’information provoque parfois des couvertures journalistiques entachées d’erreurs.
Photo : Getty Images / Alexi J. Rosenfeld
À une époque où les gens ont beaucoup de mal à faire confiance aux médias, les journalistes doivent donc être très prudents, prévient Henry Brechter, de AllSides. Laisser leurs émotions en dehors de leur travail peut sembler difficile, surtout lorsque les émotions sont à leur comble comme c’est le cas dans ce conflit, mais c’est une responsabilité supplémentaire pour les journalistes de revenir aux fondamentaux et de faire leur travail de la bonne manière.
La première vice-présidente du Craig Newmark Center for Ethics and Leadership ajoute que cette perte de nuance ne devrait pas se produire dans les médias, surtout dans la couverture de ce genre de conflit, car cela peut déclencher des réactions dangereuses dans la perception du public.
Par exemple, si les médias ne citent pas les extrêmes et ne citent que l’opinion du centre, les gens ne comprennent pas pourquoi personne n’a progressé dans ce domaine. Et si vous ne citez que les extrêmes, vous donnez l’impression qu’il s’agit d’un conflit sans issue qui ne sera jamais résolu. Alors qu’en fait, il y a beaucoup, beaucoup de gens qui ont failli résoudre ce conflit
Je pense que les médias renforcent vraiment ces camps et les exagèrent probablement, parce que je pense que pour beaucoup de gens, il y a une nuance, dit M. Brechter.
Kelly McBride pense qu’on ne peut pas ignorer les extrêmes dans le dossier israélo-palestinien.
En fait, l’une des raisons pour lesquelles le public est si confus au sujet du conflit dans son ensemble, c’est parce que la plupart du temps, lorsque nous parlons du conflit entre Israël et les Palestiniens, nous ne parlons pas des extrêmes, qui croient que l’autre camp devrait être exterminé.
Je pense que les médias devraient en faire plus pour mettre en évidence la gamme des opinions, parce que sinon la plupart des gens choisissent simplement leur camp maintenant sans beaucoup de compréhension logique des enjeux politiques.
Kelly McBride, première vice-présidente du Craig Newmark Center for Ethics and Leadership, déplore la course à l’exclusivité en temps de guerre.
Photo : Gracieuseté : Poynter Institute
Le risque du désintérêt du public
Kelly McBride voit dans certaines dérives du journalisme un danger qui s’infiltre dans l’esprit du public.
Deux jeunes d’une vingtaine d’années m’ont dit tout récemment qu’ils ne croyaient plus ce qui venait de l’armée américaine, d’Israël et de Gaza. Mais comment allez-vous arriver à une conclusion sur ce qui s’est passé, alors?, leur ai-je demandé. Et ils ont répondu : « Je ne pense pas que nous puissions le faire ».
Tout cela est assez dangereux, parce que si on croit que la vérité est inaccessible, souvent, on cesse de s’en préoccuper ou on cesse de s’en soucier