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Les Torquemada de ce nouveau siècle et la cancel culture
Les Torquemada de ce nouveau siècle se glissent parfois dans des zones que l’on croyait à l’abri de la cancel culture. Voici venir le temps où les gardes-chiourmes de la morale se penchent désormais sur le journalisme politique. Et l’affaire n’est pas anecdotique. Elle est grave, terriblement sérieuse et inquiétante.
Les accusations contre Jean-François Achilli
Un article du Monde jette le discrédit sur l’éditorialiste de France Info, Jean-François Achilli, lequel aurait participé à l’élaboration d’un livre de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, tête de liste de son parti aux élections européennes. L’intéressé dément, reconnaît qu’il a été, un temps, approché pour tenir la plume du dauphin de Marine Le Pen, mais qu’il a refusé sans la moindre ambiguïté.
La machine à broyer et les conséquences
La preuve ? Aucun contrat signé. Aucun arrangement écrit. De près ou de loin. Pas la moindre trace d’une collusion du journaliste avec le leader de la droite extrême. Malgré cette mise au point qui aurait dû siffler la fin de ce procès en sorcellerie, la machine à broyer s’est mise à tourner à plein régime. Réseaux sociaux, suspicions hâtives, « il n’y a pas de fumée sans feu », et toutes ces petites rumeurs rances, perverses, qui le désignent du doigt. Le malheureux se trouve aujourd’hui sous la mitraille, devenu un « collabo », un idiot utile du lepénisme triomphant.
Journaliste, un métier où l’on discute avec le diable, ou ses sous-fifres
Épouvantable, abject ? Achilli nie tout en bloc, avoue sa stupéfaction devant un tel déluge de contre-vérités et attend sereinement la défense de sa direction. Et là, surprise, pour ne pas dire pire, cette dernière joue les Ponce Pilate, lui impose une « suspension » d’antenne jusqu’à ce qu’on éclaircisse l’affaire.
Les relations entre les journalistes et les hommes politiques
Mais quelle affaire ? Quel péché a donc commis ce « présumé coupable » ? D’avoir bavardé avec le sieur Bardella avec courtoisie, comme il le fait depuis des décennies avec toutes les femmes et tous les hommes politiques qu’il côtoie professionnellement ? On aime ou n’aime pas le style Achilli, fait de sérieux et de rigueur. L’homme est l’inverse d’un imprécateur ? Il a bu quelques tasses de thé, ou même du whisky on the rocks, avec le patron du RN ? Peut-être. Et il a bien fait.
Journalistes et responsabilité
Dans notre métier, nous discutons parfois avec le diable, ou ses sous-fifres. Je dois avouer qu’à l’époque où je traînais mes guêtres dans les arrière-salles du Front national, il m’est arrivé de rire aux blagues de Jean-Marie Le Pen, pas celles sur le « détail de l’Histoire », bien sûr, mais à d’autres, moins ignobles, parce que j’essayais une approche « mezzo voce » du fondateur du FN afin de comprendre pourquoi il détestait tant Charles de Gaulle. Étais-je un traître, une crapule aux ordres de la Main Noire ?
Les limites journalistiques
J’ai aussi interviewé des chefs terroristes, donné la parole à d’ignobles proxénètes, à quelques tueurs patentés sans que ma direction ne me jette aux requins pour autant. Je faisais mon métier, avec ou sans gants, selon les opportunités. L’affaire Achilli est révélatrice de la dérive dans laquelle certains se laissent emporter aujourd’hui. Ce dernier a-t-il éprouvé une forme de sympathie pour le gamin de Seine-Saint-Denis ? Je n’en sais rien. Et je m’en contrefous. Où est donc cette limite dans la relation entre journalistes et hommes politiques ? Dans les faits. « L’embastillé » de France Info a-t-il touché de l’argent du RN ? Non. Est-il parti en vacances avec Jordan et ses amis ? Non. A-t-il signé un contrat avec un éditeur pour donner un coup de main au fils spirituel de Marine ? Trois fois non. Alors, nous sommes bien dans une forme de dénonciation calomnieuse dont il faudra élucider les mécanismes au plus vite. Pour l’honneur de notre métier. Mais surtout pour celui d’un confrère en… « suspension ».