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Eric Brousseau, professeur d’économie et de management à l’Université Paris-Dauphine, spécialiste de la régulation dans le numérique. Photo DR
Les réflexions de Meta et TikTok remettent-elles en question le modèle publicitaire dominant ?
Les réflexions de Meta et TikTok remettent-elles en question le modèle publicitaire dominant ?
« Dans le modèle publicitaire, grosso modo, vous avez des contenus gratuits en échange de pollution. Cette pollution est double : c’est à la fois des publicités, et de la collecte de données personnelles pour faire du ciblage. Mais il y a aussi des gens qui sont prêts à payer plus cher pour ne pas voir de publicités. Là, on peut faire de la discrimination tarifaire, c’est-à-dire proposer des services avec plusieurs niveaux de valeur ajoutée. Vous allez essayer de vous adresser à des clientèles qui ont différentes propensions à payer, et à être pollués en quelque sorte. Typiquement, vous avez le cadre avec des revenus élevés mais peu de temps, qui est prêt à payer cher pour des contenus de qualité ; et puis l’adolescent qui n’a pas d’argent et accède à des contenus pollués – mais au moins il a des contenus. Ce n’est pas nouveau, c’est le modèle traditionnel des médias : d’un côté vous allez trouver le journal d’annonces gratuites, de l’autre Le Canard enchaîné sans publicité. C’est un modèle qui est appelé à se généraliser dans l’industrie du loisir et du divertissement. On le retrouve déjà dans le streaming de musique ou de vidéos. »
Pourquoi seulement maintenant ?
Pourquoi seulement maintenant ?
« C’est lié à la dynamique de ces services. L’utilité d’un réseau social dépend de son adoption par d’autres utilisateurs, ce qu’on appelle en économie l’externalité de réseau. On y va parce que les autres y sont. Au démarrage d’un nouveau réseau social, vous avez donc tout intérêt à proposer un accès gratuit pour favoriser son adoption par un maximum de personnes. Déjà parce que vos revenus vont dépendre du nombre d’utilisateurs, mais aussi parce que si vous n’atteignez pas une masse critique avant votre concurrent potentiel, c’est lui qui va remporter tout le marché. Au départ, tous les réseaux sociaux ont pratiqué cette stratégie. Maintenant que le marché s’est stabilisé, ils peuvent se dire : les parts de marché sont relativement stables, il faut j’en tire le plus de revenus possible. Et si certains veulent payer, pourquoi pas ? »
La rentabilité serait donc la principale motivation au lancement d’une offre payante ?
La rentabilité serait donc la principale motivation au lancement d’une offre payante ?
« Une autre raison est de lutter contre une trop grande dépendance à une seule forme de revenu. La publicité est une activité très sensible à la conjoncture. Google s’est diversifié depuis longtemps. Facebook, qui tire la quasi-totalité de ses revenus de la publicité, est plus fragile. La stratégie de Meta dans le metaverse, c’est typiquement de sortir d’un modèle exclusivement publicitaire, de se diversifier en vendant des casques ou des services. »
Ces offres sans publicité ne sont-elles pas aussi le moyen pour certaines entreprises, souvent critiquées pour leur traitement des données personnelles, de redorer leur blason ?
Ces offres sans publicité ne sont-elles pas aussi le moyen pour certaines entreprises, souvent critiquées pour leur traitement des données personnelles, de redorer leur blason ?
« Ça fait partie des arguments qu’elles peuvent utiliser pour redorer leur image et convaincre les autorités qu’elles ne sont pas les grands méchants. Ça leur permet aussi de diversifier leurs sources de revenus et de mieux répondre à la demande des certains utilisateurs. »